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discutée par Griffuelhes lui-même. Nous supposons   de brochures, 80 meetings de mobilisation. L’évé-
            que ses propos sont postérieurs à 1914 ou 1917. Il   nement impose un compte à rebours ; on peut lire
            souligne les aspects psychologiques et tactiques de   sur les murs : « Encore 67 jours, et ce sera l’éman-
            la grève générale, la montée en puissance de l’idée,   cipation ! »  L’effet est spectaculaire dans l’opinion.
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            l’avènement du mythe, mystique, romantique, avant   Pourtant le 1  mai 1906 ne fut pas la réussite espé-
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            de la déclarer obsolète au nom du réalisme :       rée. Le 10  mars, coup de poussier  aux charbon-
               «  Nous  nous  séparons  des  premiers  adeptes   nages de Courrières : 1 200 morts, 40 000 mineurs
               de l’idée  de Grève  Générale. Ceux-là étaient   en  grève.  Clémenceau  envoie  la  troupe.  Pierre
               mystiques, romantiques, nous  ne voulons pas    Monatte,  le  bras  droit  de  Griffuelhes,  qu’il  avait
               l’être. Les premiers adeptes de la grève géné-  dépêché sur les lieux de la catastrophe, est arrêté.
               rale croyaient en elle comme certains croient en   D’autres  conflits  éclatent  :  le  gouvernement  orga-
               Dieu ; ils lui attribuaient une vertu propre qu’elle   nise la campagne d’affolement et la répression syn-
               ne peut posséder  ; sa réalisation apparaissait   dicale adéquates. Une provocation policière envoie
               comme prochaine  ; sa venue était attendue      Griffuelhes en prison. Le 1  mai à Paris ne répond
                                                                                       er
               comme l’heure marquée par l’horloge… il fallait   pas aux attentes des organisateurs, mais l’ampleur
               donc se tenir prêts. Mais ces adeptes qui eurent   de la manifestation  est indiscutable  et se mesure
               le grand mérite de lancer une idée dont les faits   au nombre des interpellations : 800. La CGT avait
               ont  dégagé la force  de création,  étaient oppo-  imposé sa marque, devenait la voix et l’image de la
               sés à la grève tout court. La grève pour des fins   classe ouvrière.
               quotidiennes était pour eux nuisible, gaspilleuse   Le 1   mai 1906 représente, et  l’assomption de la
                                                                   er
               des forces de la classe ouvrière… de sorte que   CGT, et le déclin des espoirs que suscitait la Charte
               la grande grève était pour ces hommes un mou-   d’Amiens. Le pouvoir ne pardonnait pas à Griffuelhes
               vement surgissant soudain, la foudre tombant    la  réaction  du  syndicat  contre la  démocratie.
               tout à coup, et pour elle il était nécessaire de se   Clémenceau, ministre de l’Intérieur le 14 mars 1906,
               préparer.                                       Président du Conseil, le 25 octobre 1906, conserve
               Pitoyable conception du mouvement ouvrier ! Les   son portefeuille de ministre de l’Intérieur, s’entoure
               insuccès lui sont dus. L’explosion de vie ouvrière   de Viviani et Briand, connaisseurs du syndicalisme et
               de ces dernières années a rejeté l’idée de grève   de ses chefs, formant le « trio » habile à mêler patte
               générale  ; en tant qu’idée,  elle l’enregistre   de velours et poigne de fer. Le bilan de deux années
               comme un fait social, se mêlant à nous… » 15    de répression (1906-1908) s’élève à 104 années de
                                                               prison, 667 ouvriers blessés et 20 tués, 392 révoca-
            Même s’il croit désormais la grève générale irréali-  tions. Les grèves massives des Postiers et des Che-
            sable, et lui préfère des modes d’action plus pragma-  minots échouent, derniers sursauts du syndicalisme,
            tiques, Griffuelhes ne nie pas la force de la croyance,
            l’adhérence  mystique des adeptes au dogme, la     sanctionnées par des licenciements massifs. L’élite
            puissance  de mobilisation,  l’attente apocalyptique   syndicale est traduite en cour d’Assises : Griffuelhes,
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            que Sorel intégrera dans sa construction du mythe   Pouget,  Delesalle,  Merrheim,  Monatte …  Tous
            de la grève générale. Mais réflexion désabusée.    seront  acquittés  après  trois  jours  de  débats.  Ils
                                                               sont les héros anonymes des Réflexions, les cham-
            Conduite  par  Griffuelhes,  la  CGT  s’était  fixé  un   pions de la promotion ouvrière, des éveilleurs d’hu-
            programme  et  un  combat  :  obtenir  la  journée  de   manité  qui  «  [apprennent]  au  prolétariat  à  vouloir,
            huit heures, faire du 1   mai une journée  revendi-
                                 er
            cative, instaurer la grève générale. La date et lieu   l’[instruisent] par l’action, et lui [révèlent] sa propre
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            de la bataille furent fixés : le 1  mai 1906, à Paris.   capacité » . Les Réflexions sont une méditation sur
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            La  préparation  fut  intense  :  large  publicité  dans   l’échec de la grève générale et la défaite syndicale,
            chaque numéro de  La  Voix  du  Peuple,  700  000   le bréviaire d’une marche dans le désert, l’effort pour
                                                               penser l’impensable, la violence. Il nous semble que
            tracts,  6  000  000  de  papillons  diffusés  dans  les   Sorel dégage de l’instinct de violence un devoir de
            cafés, le métro, les grands magasins, des milliers
                                                               violence dont il délimite le cadre moral et politique.












            15. Cité par Hubert delPont, « Victor Griffuelhes, un lot-et-garonnais fondateur de la CGT », Agen, Le travailleur du Sud-Ouest, 1983, p. 26 .
            16. Nous devons ces informations à Hubert Delpont, op. cit., p. 16.
            17. Edouard dolléanS, op. cit., p. 145. Le « trio Clémenceau-Viviani-Briand », formule de Monatte.
            18. G. Sorel , Préface à Histoire des Bourses du Travail, op. cit., p. 26.


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