Page 6 - Lettre d'information n°33
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I LA RÉALITÉ DES ORPHELINATS



               Le  terme  « orphelinat »  renferme  un  certain   du mot « orphelin », à la fois restrictive et exten-
               aspect générique qui le rend difficile à définir ou   sive, en le modulant dès la source parentale.
               à  répertorier.  Jusqu’à  une  époque  récente,  la
               moindre  institution  pour  enfants  malheureux   Suivant une discrimination traditionnelle qui se
               prend l’appellation populaire d’orphelinat, qu’elle   poursuit au XIXe siècle, un orphelin est un en-
               soit  publique  (assistance)  ou  privée  (charité),   fant légitime. Lui seul subit une misère imméri-
               abstraite  (bourses)   ou  concrète  (établisse-  tée que les orphelinats entendent combattre, en
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               ments). L’étude approfondie de cette institution   laissant à l’assistance publique les enfants natu-
               particulière  démontre  que  l’acception  large  du   rels  ou  illégitimes.  Dans  la  conception  chré-
               mot résulte de son essence même. D’après nos     tienne  opposant  les  enfants  du  « malheur »  à
                                                                               14
               recherches, un orphelinat est un établissement   ceux du « vice » , l’état civil (le droit) et la con-
               charitable  spécial  recueillant  et  éduquant  des   duite (les faits) des parents conditionnent l’ad-
               enfants  en  situation  familiale  malheureuse.   mission future de l’enfant s’ils viennent à décé-
               Chacun des éléments constitutifs de la phrase    der.  En  conséquence,  l’entrée  à  l’orphelinat
               comporte une part d’ambiguïté qui nous éclaire   exige les preuves de la légitimité et du baptême
               sur  la  difficulté  à  déterminer  l’existence  d’un   de l’enfant, ainsi que les recommandations d’un
               orphelinat. Il s’agit de les reprendre en remon-  prêtre ou d’une église presbytérale. La charité
               tant le fil de notre définition : populations, mé-  poursuit une logique de protection double : une
               thodes, structures…                              protection évidente des enfants, en les mainte-
                                                                nant à l’abri de l’extérieur corrupteur, et une pro-
               1.1  « Des  enfants  en  situation               tection sous-jacente de la société, en isolant des
                                                                enfants que les parents ne peuvent élever (quels
                     familiale malheureuse »
                                                                que  soient  les  motifs  de  cette  impossibilité).
                                                                Dans sa thèse, Maurice Capul développe cette
               Tandis que l’assistance publique affine progres-  « pédagogie  de  la  séparation »  pour  l’Ancien
               sivement,  dans  un  souci  d’économie,  les  con-  régime .  Il  n’est  pas  rare,  dans  les  établisse-
                                                                      15
               tours  de  l’enfance  à  assister,  les  orphelinats   ments congréganistes du XIXe siècle, que l’or-
               fonctionnent différemment avec une délimitation   phelinat reste à l’écart des autres œuvres, des
               particulière de cette population. L’État organise,   pensionnats par exemple. La légitimité de l’en-
               au  cours  du  XIXe siècle,  les  institutions   fant  n’efface  pas  le  tabou  du  délaissement
               nécessaires à l’encadrement de deux figures de   familial.
               l’enfance :  le  « sans  famille »  (trouvé,  aban-
               donné,  orphelin  pauvre),  recueilli  en  hospice   Les orphelinats abordent aussi la définition de
               dépositaire  avant  placement  familial,  et  le   l’orphelin dans sa portée la plus large, où l’ab-
               « délinquant », envoyés dans un établissement    sence  parentale  n’est  pas  due  qu’à  la  mort.
               pénitentiaire approprié. Les orphelinats recueil-  Paradoxalement,  bon  nombre  d’enfants  en  or-
               lent  une  population  intermédiaire :  l’enfance   phelinat ne sont pas orphelins au sens strict…
               « en  danger »,  c’est-à-dire  les  enfants  qui  ris-  Ce sont des enfants dans une situation familiale
               quent de tomber dans la délinquance parce que    difficile :  des  enfants  délaissés,  soit  après  le
               leur famille n’a pas les moyens de les éduquer.   décès du père et/ou de la mère, soit simplement
                                                                après  une  insuffisance  morale  ou  matérielle
               Comme pour l’assistance publique, la condition   du/des  parent(s)  restant(s).  Ainsi,  les  orpheli-
               d’orphelin  se  détermine  donc  uniquement  par   nats recueillent-ils par nature de vrais orphelins,
               rapport à la situation des parents. Les orpheli-  mais  aussi  des  populations  qui  appartiennent
               nats  proposent  une  interprétation  ambivalente   davantage à la catégorie des enfants pauvres de



               13  Certaines associations charitables, dont la titulaire contient  le terme « orphelinat », viennent en aide aux enfants
               nécessiteux en leur attribuant des bourses ; ces enfants ne vivent pas en institution mais chez des particuliers (souvent
               des proches). Certains auteurs évoquent des orphelinats « externes », par opposition aux œuvres d’internat.
               14  D. LAPLAIGE, Sans famille à Paris : orphelins et enfants abandonnés de la Seine au XIXème siècle, Centurion, Paris, 1989,
               p. 138.
               15  M. CAPUL, Internat et internement sous l’Ancien régime. Contribution à l’histoire de l’éducation spéciale, Tomes III et IV. La
               pédagogie  des  maisons  d’assistance,  Les  publications  du  C.T.N.E.R.H.I.,  P.U.F.,  Paris,  1984,  p. 73  et  suivantes
               (Tome III), p. 135 et suivantes (Tome IV).


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