Page 8 - Lettre d'information n°33
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Les occupations des enfants se partagent entre L’intention charitable s’est en effet parfois muée
l’enseignement primaire et la formation en logique commerciale et, dans certains
professionnelle. orphelinats, les orphelins ne travaillent pas pour
se former à un métier mais seulement au
L’avenir des enfants assistés se confond, bénéfice de l’établissement.
quasiment depuis les origines de la charité, avec
l’apprentissage d’un métier. Il s’agit de rendre Aux critiques des enquêtes s’ajoutent les
les garçons utiles à la société et de faire des attaques politiques ; la poussée anticléricale
filles de bonnes épouses, mères, servantes ou rejaillit aussi sur les œuvres charitables des
religieuses. À cet égard, la statistique démontre congrégations. Le travail des enfants en
que les orphelinats conviennent mieux aux filles orphelinat révèle deux facettes : un aspect
scolaire car les orphelins suivent un apprentis-
qu’aux garçons. Cette hypothèse se vérifie dans sage professionnel, et un aspect économique
le Tarn : sur les trente-quatre orphelinats que car les produits du travail des orphelins servent
compte le département, vingt-cinq s’adressent de ressources à l’établissement. L’ambivalence
aux filles, cinq recueillent des garçons et quatre naît de ce dernier aspect qui fait dire aux
sont mixtes. Cette différence peut s’expliquer observateurs républicains que les écoles
par la nature de l’apprentissage dispensé dans catholiques ne sont que des ateliers à main-
les orphelinats. Il est plus simple de recueillir et d’œuvre quasi gratuite.
d’élever des orphelines, en les cantonnant à des
travaux de couture, que des orphelins qui exi-
gent une formation professionnelle plus lourde à 1.3 « Un établissement charitable
organiser. Cependant, la meilleure explication spécial »
reste financière : « la jeune fille est plus facile à
élever parce qu’elle gagne à partir de sept ou À l’inverse de l’assistance publique, qui cherche
huit ans, tandis que le garçon coûte jusqu’à à limiter progressivement, pour des raisons
quinze ans » . La distinction des établisse- financières, le nombre des hospices déposi-
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ments de filles et de garçons se traduit dans l’ap- taires chargés de l’enfance assistée, les orphe-
prentissage, qui oppose l’atelier où les garçons linats connaissent une incroyable diversité de
se forment aux métiers de l’artisanat et de la structures. La multiplication d’établissements
petite industrie, à l’ouvroir où les filles appren- urbains à partir du Second Empire révèle le dé-
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nent les métiers du ménage et de l’aiguille. Dans but d’une période faste pour les orphelinats . Le
le Tarn, l’ouvroir constitue le prolongement natu- mouvement ne se limite pourtant pas aux
rel d’un orphelinat de filles. En outre, les orphe- grandes villes ; des petites bourgades, des vil-
linats agricoles préparent aux métiers de la cam- lages, des hameaux parfois, verront s’établir un
pagne. Ces institutions apparaissent dans la orphelinat… Il s’agit de mouvements locaux de
seconde moitié du XIXe siècle comme le bienfaisance privée, au rayon d’action souvent
remède idéal à tous les maux de la société in- limité, disséminés dans le pays. Pour le Tarn, on
dustrielle. Les orphelinats sont donc longtemps remarque une concentration des orphelinats
perçus comme des œuvres charitables qui dans le sud du département, essentiellement
apprennent un métier aux enfants. dans l’arrondissement de Castres, sans doute
en raison d’une émulation positive entre catho-
Cette bienveillance s’estompe avec le change- liques et protestants.
ment de majorité gouvernementale. À partir de
1880, de vives critiques s’élèvent à l’encontre Charles Portal, archiviste du département de
des orphelinats. Les Républicains remettent en 1890 à 1927, affirme très justement que « parmi
cause l’enseignement primaire et professionnel les orphelinats, plusieurs ont été une sorte d’an-
dans les orphelinats congréganistes. D’après nexe des hospices (à Castres, Lavaur, Gaillac,
les enquêtes générales sur l’enfance assistée,
le temps consacré à l’étude y est restreint (trois Mazamet, Rabastens, Lacaune), d’autres se
heures par jour en moyenne). Les critiques sem- sont confondus avec des écoles libres (Massac,
blent épargner les orphelinats protestants, très Peyregoux, Le Gos, Albi-Saint-Jean et cou-
attentifs à l’instruction primaire. De plus, les en- vents) ». L’auteur perçoit bien la dichotomie
quêtes dévoilent les abus de certaines institu- entre les structures hospitalières et scolaires,
tions privées quant au travail des enfants. ainsi que les deux modalités de rattachement
18 H. NAPIAS, Rapport et projets de règlements pour les orphelinats et ouvroirs annexés aux hôpitaux, hospices et bureaux de bienfaisance,
Imprimerie administrative, Melun, 1896, p. 11.
19 D. LAPLAIGE, Op. cit., p. 137. Cette référence soudaine aux orphelinats urbains, sous-entend des institutions
similaires rurales et antérieures, à l’instar des colonies agricoles.
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