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et du rôle historique du prolétariat « porteur de L’une des dernières relectures de Sorel, consiste
réserves morales fraîches qui lui assurent une mis- à le réintégrer dans le champ de la sociologie, de
sion à l’égard du monde nouveau ». Cette mission la psychologie et de l’histoire. Georges Duveau
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n’est rien moins que celle d’une libération. Évoquant inscrit Sorel dans la généalogie des utopistes, de
« la mystique qui inspirera les masses », Maritain, Thomas More inventeur du mot, à Marx. Il ques-
pour éclairer la notion, en appelle « au petit groupe tionne quelques lieux communs tels que l’opposition
des disciples de Georges Sorel qui se rangeaient entre socialisme scientifique et socialisme utopique,
parmi les syndicalistes révolutionnaires ». À la suite les rapports entre l’histoire et l’utopie, la différence
de Sorel et d’Edouard Berth, il considère le socia- entre mythe intuitif et utopie discursive. Le mythe,
lisme comme « une métaphysique de la liberté chez Sorel, lui apparaît comme le point culminant
ouvrière ». À l’instar de la « marche vers la déli- d’une construction rationnelle. La différence entre
vrance » de Sorel, Maritain assigne des étapes à la mythe et utopie, chez Sorel, ne va pas sans gêne
liquidation de la société bourgeoise et à l’avènement ni hésitation. La grève générale, le mythe axial de
de la nouvelle chrétienté. Il ne récuse pas a priori la Sorel, s’est présentée à la conscience bourgeoise et
force « accoucheuse des sociétés », mais en dernier ouvrière comme un outil qu’on pouvait manier ration-
recours, après avoir utilisé « tout un monde d’autres nellement, « le premier chapitre d’une utopie », et a
moyens » ressortissant de l’ordre des valeurs spiri- été davantage « conçue comme utopie que vécue
tuelles. « Renversement des valeurs », écrit-il. Face comme mythe ».
aux incertitudes du présent, Maritain, comme Sorel, Sur le plan psychologique, Duveau met humoris-
instaure un temps d’attente eschatologique. Le tiquement en doute les théories qui voient dans la
christianisme, pris dans la tenaille du fascisme et fiction mythique ou utopique une pathologie du sens
du nazisme, doit travailler « dès maintenant [1936], du réel, un défouloir de subconscients forcenés,
pour un avenir, si lointain soit-il, à préparer une nou- l’ouvrage de maniaques solitaires, égocentriques
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velle chrétienté » . et solipsistes. Il établit une analogie entre la façon
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dont l’utopiste ébauche sa genèse sociale et celle
du savant essayant d’émettre des hypothèses
globales, et utilisant, pour les exprimer, des présen-
tations sans rapport avec les chemins arides de sa
démarche créatrice. (Sorel a volontiers comparé ses
conceptions à des hypothèses scientifiques.)
Plus près de nous, les événements de mai 1968 ont
rappelé l’attention sur « le groupe en fusion » mis
en scène par Sartre dans sa Critique de la raison
dialectique (1960). Sartre propose une catégorie qui
ressortit de l’ontologie plus que de la sociologie : le
pratico-inerte, où s’engluent les pratiques sociales
subies, déterminées par des conditions matérielles,
la matière inanimée, produisant une société aplatie,
l’homme unidimensionnel en termes marcusiens.
La pratique de la vie quotidienne ne dépasse pas
un stade d’existence appelé par Sartre, moléculaire,
terme d’un processus de réification. Celle-ci
« n’est pas une métamorphose de l’individu en
chose […], c’est la nécessité qui s’impose au
membre d’un groupe social à travers les struc-
tures de la société de vivre son appartenance
au groupe et, à travers lui, à la société entière,
comme un statut moléculaire. »
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L’existence moléculaire se montre dans la séria-
lité : la file des voyageurs à l’arrêt d’autobus, les
rôle principal dans la phase prochaine de l’évolution. »
79. Op. cit., p. 293.
80. Georges duveau, Sociologie de l’utopie et autre essais, introduction d’André Canivez, PUF, 1961
81. Ibidem, p. 93. : « Faire de l’utopiste un vieux gamin qui s’enferme dans son parc et qui s’amuse solitaire avec son puzzle, atomiser ses
démarches psychologiques, c’est commettre une lourde erreur […] Comme dans toute activité psychique, l’intentionalité joue un rôle dans
l’élaboration de l’utopie. Intentionalité qui est elle-même un entrelacs de psychologique et de social. D’une part, en soulignant le caractère
relativement sérieux du jeu utopique, d’autre part en permettant de mieux entendre les consonances sociales de ce jeu, la psychologie
réhabilite l’utopie. »
82. Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, Gallimard, 1960, p. 243.

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