Page 8 - 070619_Lettre d'info n 25 _au tirage
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encore ces obligations naturelles dérivées des   l’incertitude du lendemain. Le solidarisme pro-
               solidarités primaires, qu’elle rend plus difficiles   clame enfin un principe de justice présupposant
               par  les  aléas  du  marché  du  travail,  l’éloigne-  la  capacité  contractuelle  des  parties,  compris
               ment, la précarité.                              comme  un  rapport  d’équivalence  et  d’égale
                                                                dignité  entre  les  services  échangés.  Ce  con-
               3. La charte de la mutualité : la loi du 1er     tractualisme  solidaire  rencontre  une  limite :  il
               avril 1898                                       laisse hors du contrat social les inégalités phy-
                                                                siques et intellectuelles qui étant le fait de la na-
               La  prévoyance,  vertu  bourgeoise,  apparaît    ture ou du sort, sont de ce fait renvoyées à la
               comme l’un des remèdes de la question sociale.   sphère du malheur privé et du destin. « Contre
               En  assurant  leur  propre  prévoyance,  les     ces  inégalités,  l’accord  des  volontés  ne  peut
               classes  inférieures  ne  seraient  plus  un  poids   rien. »
               pour la collectivité ni une menace pour la tran-
               quillité  publique.  Les  réformateurs  (Charles   4.  La  loi  sur  les  retraites  ouvrières  et
               GIDE,  Emile  CHEYSSON,  Léon  WALRAS)           paysannes du 5 octobre 1910
               voient  dans  le  mouvement  mutualiste  la
               création d’un lien social original, solidariste, ni   Le rapporteur de la loi est un pilier du Musée
               étatiste,  ni  libéral,  conforme  au  nouvel  âge   social,  Paul  GUIEYSSE,  polytechnicien  et
               industriel. La reconnaissance des sociétés de    égyptologue amateur. La loi sur les retraites ou-
               secours  mutuels  s’était  longtemps  heurtée  à   vrières et paysannes a mauvaise presse. Elle a
               une difficulté politique : la tolérance des corps   donné lieu à deux décennies de débats. Elle est
               intermédiaires  par  un  État  qui  réservait  la   violemment contestée par les syndicats révolu-
               politique  au  seul  Parlement  où  elle  était   tionnaires qui crient à  l’escroquerie. Le Sénat
               constitutionnellement  domiciliée.  Agiter  la   conservateur et libéral ne la concède que pour
               question  politique  hors  de  son  siège  social   faire  échec  à  un  projet  plus  ambitieux  de  la
               relevait  de  l’atteinte  à  la  sûreté  de  l’État.  Les   Chambre. Le sens de la collusion des conser-
               militants mutualistes devaient se diviser sur une   vateurs et des révolutionnaires a été perçu luci-
               difficulté  d’apparence technique : en  quoi  une   dement par JAURÈS : il milite pour une loi dont
               association mutualiste se distingue-t-elle d’une   le principe obligatoire fait prévaloir l’assurance
               compagnie  d’assurance ?  Le  calcul  actuariel   sur l’assistance, et dont le champ d’application
               est-il  neutre ?  Assurance  ou  mutualité,  ces   doit être toujours plus élargi. Le dispositif tech-
               options  culturelles  et  sociales  dont  les    nique de la loi préfigure celui des assurances
               contemporains avaient perçu l’antagonisme, la    sociales.  Le  principe  d’obligation  catalyse  les
               République  s’employa  à  les  combiner,  et,    antagonismes sociaux ; il est perçu comme le
               même  dans  le  cadre  de  l’obligation  d’assu-  cheval  de  Troie  sinon  du  communisme,  du
               rance,  sut  préserver  le  choix  de  l’organisme   moins  comme  une  intrusion  proliférante  de
               assureur.                                        l’État doublement lésionnaire, et de la propriété
                                                                privée et de la liberté d’entreprendre. Les pre-
               Mais  le  mutualisme  proposait  un  modèle  de   miers héritiers de la Révolution française et de
               gouvernance démocratique, préférant à la déci-   l’individualisme  révolutionnaire,  les  entrepre-
               sion  actuarielle  la  décision  politique  née  du   neurs individuels, les travailleurs indépendants,
               débat démocratique.                              s’érigent en adversaires irréductibles d’une loi
                                                                qui menace un modèle de société dont ils s’es-
               Le  solidarisme  propose  un  dépassement  de    timent les légitimes représentants.
               l’opposition factice individuel/collectif, nie la va-
               leur absolue des droits individuels, en assigne   Tel qu’il se dit dans la théorie et qu’il se montre
               à  la  propriété  une  fonction  sociale.  Il  met  en   dans les institutions, le solidarisme, à partir des
               place  les  mécanismes  essentiels  des  assu-   fondements précontractuels de la vie en com-
               rances sociales, et, ultérieurement de la Sécu-  mun, s’efforce de refaire l’unité sociale par l’af-
               rité sociale :                                   filiation et l’unité nationale par la citoyenneté.
               1°) La sectorisation de deux champs fondés sur
               deux types de droits : l’assurance, fondée sur   On  peut  dégager  les  critères  du  solidarisme :
               la solidarité professionnelle qualifiée par le lien   humaniser, socialiser, élever à la citoyenneté,
               de subordination et l’assistance, fondée sur le   c’est-à-dire unifier le corps social, par le seul fait
               droit à l’existence et l’état de besoin.         d’être homme. A ce titre, il postule un encastre-
               2°) Il fait servir à des fins de protection sociale   ment  de  la  solidarité  dans  les  structures  de
               le mécanisme assuranciel.                        l’Etat-Nation issu des principes révolutionnaires
               3°)  Il  transforme  les  rapports  sociaux :  le   et stabilisé dans les institutions républicaines.
               salariat est reconnu comme une forme sociale     On retrouverait le legs du solidarisme refondu
               d’existence ;  le  travailleur  est  doté  d’un  statut   au creuset de l’expérience historique, au prin-
               qui  vaut  citoyenneté,  et  garanti  contre     cipe d’une vision du monde politique et social.


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