Page 9 - Lettre d'information n°32
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contre le capital. Si la Charte d’Amiens de 1905   préconisées par l’État ou par les groupes oppo-
               s’était  inscrite  dans  cette  conception  anarcho-  sants l’emporterait et à quelles conditions. « À la
               syndicale,  elle  s’ouvrait  également,  dans  cet   promulgation  de  la  seconde  loi  sur  les  assu-
               esprit même, à une autogestion : « Le syndicat,   rances sociales en 1930, le résultat sera écla-
               aujourd’hui,  groupement  de  résistance,  sera,   tant : le corps médical, plus exactement la mé-
               dans  l’avenir,  le  groupe  de  production  et  de   decine libérale, et les milieux mutualistes auront
               répartition, base de la réorganisation sociale ».   gagné sur tous les tableaux. Le premier en con-
               Cette  résolution  n’est  cependant  guère  suivie   servant sa pleine liberté de manœuvre ; les se-
               d’effet avant la Seconde Guerre mondiale. Une    conds en se taillant la part du lion dans la ges-
               part du monde syndical, notamment la CGTU,       tion des assurances sociales . »
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               proche du parti communiste, est hostile à la mise
               en place des assurances sociales, qui visent à   2.2  La  gouvernance  et  la  mise  en
               favoriser  la  paix  sociale  et  ponctionnent  par
               leurs cotisations les faibles revenus des salariés   œuvre des assurances sociales, des
               non-cadres ;  la  CGTU  déclare  en  1923 :  « En   allocations familiales et des régimes
               liant matériellement et moralement la classe des   complémentaires
               misérables  au  régime  actuel,  la  loi  des  assu-
               rances sociales […] est une véritable machine    Si  la  forme  juridique  de  la  société  de  secours
               de  conservation  sociale.  [...]  Elle  constitue  un   mutuel  prévaut,  elle  recouvre  toutefois  des
               moyen  habile  pour  obliger  sans  bourse  délier,   caisses foisonnantes d’origines diverses.
               les travailleurs de ce pays à mettre leur misère
               en  commun  pour  diminuer  les  affres  des  plus
               malheureux  et  étouffer  tout  germe  de  révolte   2.2.1. Organisation
               susceptible  de  compromettre  la  sécurité  des
               maîtres  du  jour.  […]  Nous  rejetons  ce  double   En 1936, il y aura ainsi, selon un classement et
               prélèvement  (cotisation  ouvrière,  cotisation   un décompte des services du ministère, mises à
               patronale) et surtout le prélèvement ouvrier. Ce   part  les  353 caisses  du  secteur  agricole,
               dernier  diminuera  un  salaire  déjà  insuffisant   plusieurs centaines d’organismes que l’on peut
               pour  vivre.  Si  l’ouvrier  tente  d’augmenter  son   répartir en plusieurs catégories :
               salaire pour rejeter sa cotisation sur le patron, ce
               dernier  incorporera  la  somme  accordée  dans   Premièrement, les caisses d’assurance mala-
               ses frais généraux. De même la cotisation patro-  die  fonctionnant  en  répartition,  dites  caisses
               nale sera ajoutée dans le  prix de revient et le   d’affinité, puisqu’elles sont l’objet d’un choix :
               producteur paiera, en fin de compte comme con-       •   272 caisses  mutualistes,  issues  de  la
               sommateur,  la  quote-part  patronale.  C’est  la       mutualité  ou  des  caisses  patronales
               classe  ouvrière  qui  finira  par  solder  les  assu-  (176 mutualistes,   96 interprofession-
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               rances sociales. » (L’Humanité )                        nelles),
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               Cette hostilité est partagée par une partie de la       (Fédération  nationale  catholique  et
               droite : la loi sur les assurances sociales « cons-     CFTC),
               titue, quoiqu’on en dise, un super impôt et, par     •   52 caisses  ouvrières,  Le  Travail,  de  la
               suite, elle provoquera une augmentation du coût         CGT confédérée,
               de la vie et entraînera une charge énorme pour       •   192 caisses d’entreprise.
               tous  les  contribuables.  L’agriculture,  dans  la   Des unions représentent ces caisses au niveau
               période  très  difficile  qu’elle  traverse,  ne  peut   national : Union nationale des caisses primaires
               supporter  cette  nouvelle  fiscalité.  Notre  com-  mutualistes d’assurances sociales contrôlée par
               merce  et  notre  industrie,  si  chargés  d’impôts,   la Fédération nationale de la mutualité française,
               verront encore augmenter leurs prix de revient,   Union  nationale  des  caisses  familiales  d’assu-
               d’où  un  nouvel  obstacle  à  notre  exportation,   rances sociales, Fédération nationale des mu-
               alors  que  notre  balance  commerciale  est  déjà   tuelles ouvrières Le Travail.
               déficitaire ».  (Explication  de  vote  du  prince
               François de Polignac le 23 avril 1930).          Deuxièmement,  s’y  ajoutent  les  86 caisses
                                                                départementales,  dotées  de  conseils  d’admi-
               Comme le montrent les auteurs de Se protéger,    nistration  paritaires  de  24 membres  (12 repré-
               être  protégé.  Une  histoire  des  assurances  so-  sentant  les  salariés,  12 représentant  les  em-
               ciales en France, l’enjeu parlementaire a large-  ployeurs,  auxquels  s’ajoutent  2 représentants
               ment  été  de  savoir  laquelle  des  organisations   des  praticiens).  Ces  caisses  qui  devaient  être

               12  LAROQUE Michel (dir.), Contribution à l’histoire financière de la Sécurité sociale, Comité d’histoire de la Sécurité sociale, La
               Documentation française, 1999, p. 176.
               13  DREYFUS Michel, RUFFAT Michèle, VIET Vincent, VOLDMAN Danièle, avec la collaboration de VALAT Bruno,
               Se protéger, être protégé. Une histoire des assurances sociales en France, Presses universitaires de Rennes, 2006.


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