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quelques années enfermé dans les pontons de
               Londres où il acquiert la pratique de l’anglais.
               Il est ébloui par les Antilles qui deviendront son
               terrain d’étude de prédilection. Il en observera
               tous  les  aspects  géographiques,  naturels,  hu-
               mains,  économiques,  militaires  et  médicaux.  Il
               partage  avec  toute  sa  génération  le  goût  des
               navigations  savantes  et  de  l’observation  de
               l’homme,  servi  par  de  remarquables  dons  de
               topographe  et  de  statisticien,  discipline  émer-
               gente qu’il contribue à instituer et qui assurera
               sa carrière de haut fonctionnaire comme direc-
               teur de la statistique de France. Il reste fidèle à
               sa vocation de savant naturaliste, disposant d’un
               réseau d’une vingtaine d’académies et de socié-
               tés savantes françaises, européennes et améri-
               caines, et de correspondants divers, voyageurs,
               militaires, médecins de toutes nationalités.

               Moreau de Jonnès avait observé la fièvre jaune
               aux Antilles et suivi le développement de la pre-
               mière pandémie de choléra (1817-1823). Il avait
               retiré de son immense documentation et de ses
               échanges  que  la  marche  du  choléra  était  due
               aux migrations humaines, à commencer par les
               mouvements de troupe :
               « Le choléra est importé et transmis d’un pays
               ou d’un lieu à un autre :
               1°) par les communications maritimes ;
               2°) par les caravanes ;
               3°) par les corps d’armée ;                        Source gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
               4°) par les troupes de pèlerins ou de fuyards ;
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               5°) par les individus isolés » .                 Moreau de Jonnès postule dans la contagion un
                                                                agent  pathogène,  « des  principes  morbifiques,
               L’auteur donne de la pathologie un tableau clas-  des germes vénéneux dont les conditions d’exis-
               sique et complet que tous les médecins obser-    tence varient singulièrement de l’une à l’autre et
               veront à Paris en 1832 et relateront dans leurs   constituent  leur  caractère  spécifique ».  Il  en
               rapports :  vomissements  et  déjections  alvines,   déduit que « ce qui caractérise les contagions,
               crampes,  respiration  laborieuse,  apâlissement   c’est la reproduction de leur germe par une force
               et refroidissement du corps, ralentissement du   assimilatrice semblable à celle du levain ; c’est
               rythme  cardiaque,  baisse  de  la  pression  arté-  leur  transmission  aux  hommes  et  aux  choses
               rielle, sueurs froides, teint plombé et cyanosé,   par le contact ou même à distance ; c’est enfin
               soif  continuelle,  prostration,  douleurs  violentes   leur  propagation  qui  s’opère,  non  pas  comme
               au niveau de l’épigastre.                        dans les épidémies, par des attaques simulta-
               Il récuse les explications usuelles, notamment la   nées, éparse et sans ordre, mais bien par une
               notion d’épidémie. Dans le langage médical de    marche  progressive,  régulière,  proportionnée
               l’époque, l’épidémie revêt un sens spécial : elle   aux  distances  et  dirigées  d’après  des  lignes
               exclut la contagion et suppose une constitution   itinéraires  constamment  identiques  avec  les
               spécifique de  l’atmosphère, des eaux, des ali-  communications commerciales et maritimes les
               ments,  voire  du  sol,  qui  détermine  la  maladie   plus fréquentes » (p. 91). Le choléra est lié aux
               mortelle  d’un  grand  nombre,  dans  la  même   relations et à l’activité des hommes, à leurs con-
               période de temps, en un même lieu. À côté du     tacts médiats ou immédiats. Il ne relève pas de
               facteur  général,  inconnaissable,  elle  suppose   l’épidémie comme la malaria, mais de la conta-
               des prédispositions individuelles au mal. L’épi-  gion  comme  la  peste,  d’où  la  qualification  de
               démie explique la migration de la maladie collec-  « choléra  pestilentiel »,  syntagme  qui  sera
               tive  par  rapport  à  l’endémie  qui  désigne  un   reproché  à  son  auteur  comme  connotant  un
               même mal collectif, récurrent en un même lieu.   alarmisme criminel.
               L’épidémie  frappe  au  hasard  et  ses  victimes   Il  n’existe,  contre  le  choléra,  aucun  moyen
               réagissent  selon  des  prédispositions  person-  curatif  ou  hygiénique  rationnel.  Les  remèdes
               nelles observables par la médecine.              proposés  sont  « inefficaces  ou  extrêmement

               12  A. Moreau de Jonnès, op. cit. p. 128.


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