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L’appréciation de l’état sanitaire varie selon l’air   lazarets et de lieux de quarantaines construits
               du temps politique. L’Espagne de 1820 est libé-  sur le modèle marseillais, et la défense des fron-
               rale. Les Cortes ont imposé à Ferdinand VII une   tières terrestres par le déploiement des cordons
               constitution. Le monarque déchu, de sa retraite   sanitaires.
               d’Aranjuez,  crie  au  crime  de  lèse-majesté,
               implore  la  Sainte-Alliance.  Il  est  entendu,  par
               Chateaubriand  et  quelques  ultras.  Le  cordon
               sanitaire  pyrénéen  déployé  de  Bayonne  à
               Perpignan était prêt à l’emploi contre la « peste
               libérale ».  Le  16 juillet  1822,  Chateaubriand
               écrivait, de son ambassade de Londres : « Dans
               tous les cas nous serons bientôt obligés d’en fi-
               nir avec le cordon sanitaire, car, une fois le mois
               de septembre passé, et la peste ne réapparais-
               sant pas à Barcelone, ce serait encore une véri-
               table dérision que de parler de cordon sanitaire ;
               il  faudrait  donc  avouer  tout  franchement  une
               armée et dire la raison qui nous oblige à mainte-
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               nir cette armée. La guerre aux Cortes ? »
               C’était,  le  6 avril  1823,  chose  faite.  Le  cordon
               sanitaire,  reconverti  en  corps  expéditionnaire,
               franchissait la Bidassoa. Le contagionisme liait
               son sort à la pire des réactions.

               Le  champion  des  non-contagionistes  était  le
               docteur  Nicolas  Chervin  (1783-1843).  Il  s’était
               convaincu  de  la  non-contagiosité  de  la  fièvre
               jaune ; il l’avait observée sur le terrain, dans les
               Caraïbes,  avait  recueilli  les  avis  de  600  mé-
               decins  américains,  pratiqué  sur  lui-même  de
               multiples expérimentations. Chervin fit de l’anti-
               contagionisme  une  croisade  personnelle  à
               laquelle il consacra sa vie. Il réfutait Pariset dans
               une étude  polémique publiée en 1827 sous le
               titre :  De  la  nullité  des  prétendues  faits  de
               contagion  observés  à  Barcelone  en  1821.                  Source : Google books
               Bretonneau, contagioniste, faisait en 1829 une
               communication  à  l’Académie  de  Médecine :     À  l’échelon  national  un  conseil  supérieur  de
               Notion  sur  la  contagion  de  la  dothinentérie   santé était institué, décliné en « intendances »
               (typhoïde)  dans  laquelle  il  postulait  l’existence   locales.  L’épidémie  de  choléra  de  1832  devait
               d’un  germe  contagieux,  mais  spécifique  à    relancer la polémique.
               chaque  épidémie.  Broussais  prétendait  réfuter
               le  contagionisme  par  sa  théorie  physiologique   L’ACTION PUBLIQUE HYGIÉNISTE FACE AU
               de l’inflammation gastrique. Kéraudren, Inspec-  CHOLÉRA-MORBUS (1832)
               teur général de la marine, essuyait les foudres
               anti-contagionistes  d’un  officier  de  santé  de
               Rochefort.  Frédéric  Bastiat,  tête  pensante  de   En 1817, pour la première fois dans l’histoire le
               l’économie libérale, se déclarait contre le conta-  choléra  avait  quitté  son  habitat  endémique
               gionisme.                                        immémorial du Bengale, et, au cours d’une pre-
                                                                mière pandémie, s’était arrêté dans le Caucase,
               Quoique minoritaires, les contagionistes avaient   bloqué par le relief et le rude hiver caucasien de
                                                                          9
               obtenu la mise en œuvre d’un arsenal légal et    1823-1824 . Il est établi aujourd’hui que les mili-
               réglementaire  (lois  des  3  et  9 mars,  ordon-  taires anglais ont joué un rôle d’agents de trans-
               nances des 14 et 16 août 1822). Ces textes res-  mission, contribuant à l’épidémisation de l’Inde
               tauraient les patentes de santé, les passeports   et de la Perse, et à l’exportation du vibrion, au
               sanitaires,  organisaient  la  défense  du  littoral   gré  des  campagnes  militaires  et  des  lignes
               contre les « fièvres pestilentielles » au moyen de   commerciales terrestres et maritimes. Dès lors,

               8  CHATEAUBRIAND, Lettre du 16 juillet 1822 adressée de Londres à Mathieu de Montmorency, ministre des Affaires
               étrangères, in Mémoires d’outre-tombe, 3e partie, livre 9.
               9  Voir sur ce point l’ouvrage de P. BOURDELAIS et J-Y RAULOT : Une peur bleue ; histoire du choléra en France
               (1832-1834), Payot, Paris, 1987.


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