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parties mortes. Pour l’abbé Grégoire « l’aristo-  est  dans  l’ESCLAVAGE.  C’est  lui  qui  crée  la
               cratie  est  une  maladie  incurable » .  Pour  lui,   misère, les crimes [...] lui seul abrège les jours
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               l’Ancien Régime relève de la tératologie : « Les   du pauvre et du riche […] L’esclavage resserre
               rois sont dans l’ordre moral ce que les monstres   les demeures, entasse les hommes, les couvre
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               sont dans l’ordre physique . » Billaud-Varenne,   de  maladies,  les  remplit  de  vices ;  il  les  fait
               dans  ses  Principes  régénérateurs  du  système   pourrir dans les ordures de l’âme et du corps ; il
               social,  file  la  métaphore  médicale.  « C’est  la   abat  les  esprits,  engourdit  la  vie,  dégrade  les
               gangrène dans ses moindres ramifications poli-   formes […] Des corps maladifs et  hideux, des
               tique qu’il faut extirper, pour que la cure puisse   manières, un langage bas, ou dur et féroce, en
               avec certitude rappeler à la vie. » - « Partout où   sont les signes certains. La liberté, au contraire,
               est  la  gangrène,  quand  d’une  main  hardie  et   ramène  les  peuples  à  la  santé  robuste  et  aux
               sûre on ne taille pas dans le vif, on a rendu le   belles formes de la nature . »
                                                                                       25
               courage du malade inutile, on a ajouté la douleur
               de l’opération à ses souffrances, on a accéléré   Philippe  Pinel  (1745-1826)  est  l’homme  d’un
               le  moment  de  son  trépas. »  Quant  à  l’abbé   geste  thérapeutique  et  politique.  Geste  légen-
               Grégoire,  il  exhorte  la  Constituante  à  décréter   daire  de  Pinel  déliant  les  pensionnaires  de
               « qu’il ne sera plus nécessaire de  justifier des   Bicêtre.
               moindres  études  pour  exercer  l’art  de  guérir »
               (10 janvier 1790).

               Ce n’est pas  de façon métaphorique, mais en
               vertu d’une faculté propre d’auto-réalisation que
               la  Révolution  possède  une  vertu  de  guérison.
               Telle est la profession de foi du médecin vellave
               François-Xavier  Lanthenas  (1754-1799),  re-
               présentant des départements de Rhône-et-Loire
               et  de  Haute-Loire  à  la  Convention,  Girondin,
               proche  collaborateur  de  Roland,  traducteur  et
               ami  de  Thomas  Payne.  La  Révolution  guérit
               spontanément  de  l’esclavage,  origine  de  tous
               les  maux.  Pour  ce  disciple  de  Rousseau,  la
               liberté est consubstantielle de la vie naturelle et
               de  la santé. Il y  a  une stature et une hygiène
               spontanée de l’homme libre dans le déploiement
               de  sa  vie  naturelle,  comme  il  y  a  une  attitude
               courbée de l’esclave dans les miasmes du des-
               potisme. Par lui-même le despotisme corrompt.
               « La  médecine  d’un  peuple  vraiment  libre  doit
               être  différente  d’un  peuple  esclave,  et  chez  le
               premier  seulement  cette  science  peut  être
               débarrassée  de  la  superstition  et  du  charlata-
               nisme. »
               La Révolution permettra un retour à la vie régé-
               nérée,  naturelle,  simple  et  saine  des  peuples
               libres.
               C’est pour l’instruction de ses collègues conven-
               tionnels  que  Lanthenas  décide  de  publier  sa
               thèse de médecine où il développe le diagnostic
               allégorique de l’esclavage :
               « Pour un Peuple vraiment libre, il n’est point de
               maladie ;  un  peuple  esclave  en  compte  des
               légions :  leur  source  est  intarissable.  En  vain
               cherche-t-on dans l’air, dans les eaux, telle pro-
               fession, tel degré de pauvreté et d’aisance ; elle   Philippe Pinel, Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale
                                                                            (« Source gallica.bnf.fr /BnF »)

               23  Adresse aux habitants du Valais, 1793.
               24   Discours  à  la  Convention  du  21  septembre  1792.  Sur  l’abbé  Grégoire :  Alyssa  GOLDSTEIN  SEPINWALL,  Les
               paradoxes de la régénération révolutionnaire. Le cas de l’abbé Grégoire, Annales historiques de la Révolution française,
               juillet-septembre 2000.
               25  François-Xavier LANTHENAS, Morale républicaine ou Exposition des Caractères de l’Homme régénéré, et des
               devoirs du citoyen, §XXXII, p 53, in Écrits et Discours composés pour la Convention nationale à Paris, De l’imprimerie du
               Cercle social, Frimaire, l’an IV de la République Française.


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