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premières  générations,  de  ses  actions  de  ter-
               rain, de ses préceptes, de son regard bienveil-
               lant et optimiste.
               La  médecine  qui  se  comprenait  comme  agent
               conservateur de la société, construisait le socle
               de la criminologie, contribution à la sécurité pu-
               blique.  Ses  orientations  concordaient  avec  les
               recherches  de  la  Société  Anthropologique  de
               Paris, stimulées par la colonisation et l’ethnolo-
               gie, axées sur la craniologie, la hiérarchie des
               classes et des races, et la sélection naturelle. Un
               Paul Brouardel n’hésitait pas à déclarer lors du
                e
               2   congrès  international  d’anthropologie  crimi-
               nelle (1889) : « En menant de front l’étude des
               anomalies organiques d’une part et les études
               de la  psychologie  des criminels d’autre part,  il
               sera possible d’indiquer ceux que la société ne
               peut conserver dans son sein, d’assurer sa pré-
               servation de façon scientifique et efficace ». Le
               dogme de l’hérédité, constat d’échec du modèle
               esquirolien, permettait à l’aliénisme de se refor-
               muler dans une idéologie non vérifiable où ses
               thèses  devaient  alimenter  les  peurs  des  bien-
               pensants,  et  aboutir  à  la  société  disciplinaire
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               d’un  Alexandre  Lacassagne   ou  d’un  Victor
               Parant  imputant  les  désordres  sociaux  aux
               « anormaux », aux « kakogéniques », aux « fils     Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
               d’alcooliques », issus des classes laborieuses et
               dangereuses, réduisant la médecine mentale à
               la criminologie et la thérapeutique à la guillotine.   Sur fond de contagion, d’imitation et d’hypnose,
               Le  concept  de  dégénérescence  légitime  celui   le docteur Gustave Le Bon (1841-1931) cons-
               d’enfance coupable. Le concept de folie morale   truisait un nouvel acteur criminel : la foule.
               remplace la faute par la faute contre l’espèce.   On  pourrait  parler  de  la  création  d’un  mythe
               L’internement est l’équivalent de la quarantaine   décadentiste.
               en  cas  d’épidémie.  La  dégénérescence  proli-
               fère, s’amplifie, élargit son rayon d’action, agglo-  Son  ouvrage  Psychologie  des  foules  (1895),
               mère  dangereusement  les  déclassés,  les  dé-  traduit  en  plusieurs  langues,  constamment
               voyés, les révoltés, les inassimilables, les ina-  réédité  jusqu’en  1930,  eut  un  retentissement
               daptés.  L’originalité,  l’excentricité  sont  les   international qui assura la gloire de son auteur.
               symptômes d’un mal plus grave : le déséquilibre   Il devint le manuel obligé des hommes d’ordre et
               personnel  est  une  menace  potentielle  contre   des  dictateurs.  « La  plèbe  est  reine  et  les
               l’ordre social. Il est, de surcroît, contagieux. La   barbares avancent. La civilisation peut sembler
               contagion est alors, avec la récidive, l’une des   brillante encore parce qu’elle possède sa façade
               obsessions de la criminologie. Lasègue a fait de   extérieure créée par un long passé, mais c’est
               la  folie  contagieuse  une  catégorie  nosolo-  en  réalité  un  édifice  vermoulu  que  rien  ne
               gique .  Gabriel  Tarde,  dans  sa  Philosophie   soutient  plus  et  qui  s’effondrera  au  premier
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               pénale  (1890) a élevé l’imitation au niveau de   orage » .
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               loi sociologique.





               46  A. LACASSAGNE publie Peine de mort et criminalité, Paris, Maloine, 1907. Le criminel peut être ou un malade ou,
               le plus souvent, un coupable et un anti social. La médecine mentale fin de siècle tend à unifier les deux  concepts.
               L’oisiveté  est  mère  de  tous  les  vices  et  de  tous  les  crimes.  Dans  sa  perspective  les  procédures  médicales  doivent
               l’emporter sur les procédures juridiques. Il se déclare pour la « manière forte » dont la peine de mort. Comme Morel, il
               désespère  de  l’efficacité  curative  de  la  médecine  mentale  et  préconise  les  «  expédients  et  les  règles  d’une  hygiène
               préventive » (p 182).
               47  LASÈGUE et FALRET, Folie à deux, in Archives générales de médecine, nov. 1877, p 257.
               48  G. TARDE, Philosophie pénale, Paris, A. Stork et G. Masson, 1890.
                                                          e
               49  G. LE BON, Psychologie des foules, Paris, Alcan, 38  édition, 1930, p 181.

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